mercredi


# 01
OBJET REPRESENTE & OBJET DE REPRESENTATION


B. VANITE TOUT EST VANITE (1)



Memento Mori, 1er siècle, mosaïque polychrome de Pompeï
Musée National d'archéologie, Naples
Dès l’antiquité romaine, l'idée fait image autour de la locution latine
memento mori. Cette phrase: Souviens-toi que tu vas mourir était répétée par un esclave, debout derrière le général paradant lors de la cérémonie de triomphe. L’expression  affirme ainsi la lucidité que l’on doit garder sur sa condition humaine cernée par la mort. C'est, pour le moins, une invite à apprécier la vie et jouir comme le préconise Horace : Mangeons, buvons, et soyons joyeux car nous mourrons demain !  
 





Le Moyen-Âge chrétien avec son cortège de malheurs, généralise la représentation de la mort. Le squelette faucheur pour tous est la seule conception vraiment démocratique de cette époque.

Au début du XVème siècle, Masaccio (2)  fait parler son squelette étendu au sépulcre, dans la fresque de sa Trinité en l'église Santa Maria Novella à Florence : J'ai été ce que vous êtes et ce que je suis, vous le serez aussi.   

De son côté, Hans Holbein l’ancien (1460 – 1524) réalise un grand nombre de gravures sur bois. Sa Danse de la mort, représente une cohorte de squelettes aux prises avec les vivants. Rappel chrétien de la condition terrestre et de la résurrection promise ou cri pessimiste sur la mort tapie derrière la joie d'être vivant à une époque cultivée empreinte d’humanisme ?

Albrecht Durer, 1471 - 1528
Saint Jérôme, 1521,, huile sur bois, 60  x 48 cm
Musée National d'art ancien, Lisbonn








C’est en 1514 qu’Albrecht Dürer réalise une gravure sur bois d’un Saint Jérôme dans sa cellule, la même année que sa célèbre Melencolia laquelle intègre, de manière synthétique, une multiplicité d'éléments symboliques. En 1521 (parmi ses dernières œuvres signées), il reprend ce thème en peinture. Cette fois, Saint Jérôme est attablé avec un index pointé sur un crâne. Le décor se limite à un crucifix, à la présence de livres et à un encrier. L’aspect méditatif se trouve renforcé par la main droite posée sur la tempe. 

Ces œuvres (la gravure et la peinture) très explicites, constituent, pour certains historiens, la source religieuse de la vanité : le saint dans sa cellule et autour de lui : les livres et la bougie, symboles de spéculation intellectuelle, le crâne et le sablier qui rappellent que l’homme de chair n’est rien en face du temps.

 
Le Caravage, 1571 - 1610
Saint François en méditation, vers 1602,, huile sur toile, 128 x 95 cm
Galerie Nationale d'art ancien, Rome

L'une des grandes caractéristiques de la peinture du Caravage est son usage du clair-obscur. Son Saint François est ici placé dans une semi obscurité. L’arrière plan sombre et sans décor donne toute l’importance au sujet alors même que la peinture est traitée dans un camaïeu de bruns avec des ombres marquées. Le visage est à peine balayé par un rayon de lumière qui semble venir d’un point haut à gauche du tableau à la manière d’un projecteur de scène ou du soleil s’infiltrant par une lucarne. L’éclairage force le regard sur le crâne.

La bure du saint déchirée montre qu’il a fait vœu de pauvreté. Sa tête inclinée exprime la compassion avec des traits terriblement familiers. (Des hommes et des Dieux, le film de Xavier Beauvois). La croix en bois est telle que l’aurait assemblée le menuisier du quartier. L’ensemble confère une atmosphère mystique au tableau d’une grande humilité sur la condition humaine.






Philippe de Champaigne, 1602 - 1674
Allégorie de la vie humaine, 1644,, huile sur bois, 28 x 37 cm
Musée de Tessé, Le Mans

La peinture n’est attribuée à Philippe de Champaigne que tardivement en 1932. Cette vanité reprend la symbolique du genre dans une composition frontale et symétrique. La mort est au centre du tableau. À droite, l’écoulement du temps. À gauche, la vie, belle mais éphémère. L'esthétique du tableau est proche de l'idéal ascétique de Port-Royal (3), dont Champaigne est le peintre attitré. Le spectateur est invité à entrer dans la toile par la marche que semble former la table d'autel ou une pierre sacrificielle. Le crâne est présenté dans un registre sacramentel. Si son format est à taille réelle, le rapport d’échelle agrandi des deux autres objets en modifie la perception. Les trois éléments occupent presque toute la surface de la toile, ce qui donne à penser qu'un dispositif de représentation est à l'œuvre puisque le fond est rejeté dans une obscurité indécise. Les tons bruns, doux, rehaussés par le rose orangé de la tulipe, habillent la toile d'une domesticité qui parle d'une mort plutôt familière. Très curieusement cette picturalité illusionniste, appuyée par l’emploi de la perspective, les éclats tranchés de la lumière et les ombres projetées, un souci de la finition et du détail, tend à dissimuler le caractère artificiel de la composition.

Au XVIIIème siècle, la vanité est un genre passé de mode alors que Chardin hisse pourtant la nature morte au plus haut rang des genres. Avec l'époque des Lumières, résonne le glas de Dieu. En outre, les progrès de la science médicale commencent à expliquer nombre de choses. Alors, bien rangés sur le présentoir des salles de dissection, les os fascinent moins et les musées de cire prospèrent comme à Bologne ou Florence. De manière générale depuis la fin du XVIIème, le crâne a perdu sa fonction théologique pour rejoindre le magasin des accessoires (4)


Theodore Gericault, 1791 - 1824
Les trois crânes,vers 1812 / 14,, huile sur toile, 31.5  x 60 cm
Musée Girodet, Montargis



Chez Géricault, l’approche métaphysique est encore remarquable : la mort et la rédemption sont simultanément présentes dans son célèbre Radeau de la Méduse même si c'est bien une charge contre la monarchie dont il est avant tout question dans son chef-d'œuvre.

Ces Trois crânes lui sont tardivement attribués en 2007. Une petite gravure allemande du XVIe siècle portant la légende « Mors omnia aequat » (« La mort nous rend tous égaux ») a pu servir de source iconographique à cette œuvre saisissante. Le cadrage frontal des crânes, l’ouverture à droite vers un lointain sombre et rougeoyant, la violence du clair-obscur, le somptueux chromatisme des bruns, les noirs et blancs, les coups de pinceau apparents, la touche épaisse, nourrie et très sophistiquée tout à la fois (ponctuée d’une multitude de petits rehauts très fins de peinture blanche pour marquer les effets de la lumière), rappellent assurément les œuvres de Géricault produites dans les années 1812-1814.


Le romantisme français qui va naître de la chute du Premier Empire et de la Restauration aime le noir et l'occulte. Le crâne emblème remonte à celui de l'Hamlet de Shakespeare. Füssli (1741-1825), Eugène Delacroix (1798-1863) ou Gustave Moreau (1826-1898), vont poser tour à tour la question du to be or not to be. Quant aux squelettes baudelairiens d'Ensor (1860-1949), ils sont surtout une charge antibourgeoise. Dans ce sillage, les horreurs grand-guignolesques des expressionnistes ou le chaos cubiste de Guernica pointent un XXème siècle qui est déjà celui des tranchées et bientôt celui de l'Holocauste.



A l’aube des drames à venir, Cézanne réalise un certain nombre de peintures comportant des crânes auxquels il manque chaque fois la mâchoire inférieure comme sa Pyramide de crânes, dans laquelle les crânes sont empilés comme des pommes. Le crâne cézannien perd son sens rédempteur des âmes et devient un attribut de son répertoire inépuisable de volumes, de couleurs et de lumières. C’est le champ de prédilection de sa recherche sur l'espace du tableau et le rapport entre les masses : quand la couleur, est à sa puissance, la forme est à sa plénitude

Paul Cézanne, 1839 - 1906 
Nature morte aux crânes,1900,, huile sur toile, 34  x 60 cm
Institute of Art, Detroit, Michigan
Que ce soit une Nature morte aux oignons ou une Nature morte aux crânes (toutes deux peintes autour de 1900), les titres expriment déjà en quoi seul l’objet pris dans l’atelier compte comme sujet de peinture réduit à un sujet géométrique guère plus signifiant que ses pommes. Nature morte aux crânes, est évidemment à rapprocher de l’œuvre de Géricault avec quoi elle a d’évidentes similitudes à commencer par le format et la composition. Elle synthétise à bien des égards les recherches de Cézanne. Le fond sans décor et sans profondeur est un prétexte à déposer une surface de gris colorés venant cerner les crânes. Ils semblent glisser vers nous dans une perspective faussée. Les jeux chromatiques sont arbitraires et la matière peinte en épaisseur ne fait aucune distinction entre les zones. A travers morbidité et sensualité, cette apparente désinvolture cache cependant la méditation du peintre sur son engagement, cherchant à définir ce qu’il est et ce qu’il fait. Ainsi déclare-t-il en 1901 : L’art est une religion. Son but est l’élévation de la pensée. 

L’expressionnisme apparaît au début du XXème siècle en Europe du Nord, notamment en Allemagne et s’étend sur une période de près de trente ans. Deux groupes se distinguent : Die Brücke (1905 – 1913) et Blaue Reiter (1911 – 1914). Ce n’est ni une école ni un mouvement mais davantage une réaction contre l'académisme régie par les contextes politiques, économiques et sociaux de l’époque hantée par la menace de la première guerre mondiale. Les artistes expressionnistes restent isolés mais projettent leur subjectivité tendant à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Alors que l'impressionnisme français cherche à décrire la réalité physique, l'expressionnisme allemand, lui, la soumet à des états d'âme. Les représentations sont souvent fondées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité pour atteindre une plus grande intensité. Les œuvres mettent souvent en scène des symboles influencés par la psychanalyse naissante et les recherches du symbolisme. Le Cri de Edvard Munch est l'un des plus représentatifs et célèbres tableaux expressionnistes.



Emil Nolde, 1867 - 1956
Nature morte aux masques, 1911, huile sur toile, 74  x 78 cm
 

Atkins Museum, Kansas city

Pour cette œuvre de Nolde, le titre de nature morte expose l’intention symbolique : montrer des dépouilles plutôt que des êtres vivants, des fantômes, des cadavres dont on ne sait cette fois si l’idée de jouissance (propre au genre de la vanité), est plus signifiante que celle de la raison perdue. La forme est agressive : couleurs violentes, lignes acérées, touche grossière. Le sujet des masques est traité avec un grotesque lugubre. Ces figures ressemblent plus à des têtes coupées ou des crânes suspendus qu’à des images burlesques.



Si la Grande Guerre nourrit l'expressionnisme allemand, la seconde guerre mondiale plane sur le surréalisme et le Guernica de Picasso. Les surréalistes associent Éros et Thanatos. André Breton revendique l’influence de la psychanalyse freudienne : grâce au rêve, la mort n'a plus un sens obscur. La notion de vanité pourrait définitivement être remisée au musée or il n’en est rien. Breton demeure émerveillé et inquiet par cette mort constamment célébrée et exorcisée dans les objets des sociétés dites primitives que ce soit l'Afrique, les Amériques précolombiennes et l'Océanie - les principales victimes de la mondialisation - que le cubisme et le surréalisme réhabilitent dans l’art occidental.

Duchamp lui-même prend part à l'exercice de fatalité qui plane sur l'art de l'époque. Il déclare en 1922 : Vous savez exactement ce que je pense de la photographie. J’aimerais qu’elle serve à reléguer la peinture jusqu’à ce qu’autre chose la rende elle-même insupportable (5). La vulnérabilité technique du médium artistique fascine Duchamp, particulièrement en rapport avec la peinture et la sculpture. Leur viabilité comme leur légitimité sont mises en cause dans une série de travaux qui explorent le concept de reproduction non dans le sens littéral couvrant ses ready-made mais dans en tant que stratégie figurative.



Marcel Duchamp, 1887 - 1968
Sculpture morte, 1959, massepain & insectes, 34 x 22 x 8.5 cm

 Philadelphia Museum
 





Sculpture-morte se compose ainsi comme un assemblage. Une tête est constituée de fruits et légumes en massepain à la manière d'Arcimboldo, allégorie à laquelle on peut attribuer les caractéristiques du ready-made. C'est en quelque sorte une vanité seconde car la mort est présente mais en plan décalé, comme neutralisée. Outre une ironie anti-naturaliste, la pièce comporte d'autres niveaux de lecture. Les fruits en pâte d'amande renvoient à ceux qui sont faits et mangés en Catalogne pour le jour des Rois. Une sculpture de légumes en massepain capture ainsi plus que la simple ressemblance à son sujet. Elle mime les propriétés de la sculpture, par le caractère comestible du matériau employé et renvoie au sujet même : les légumes. Plutôt que de revenir à un art explicite de la figuration, Duchamp fait ici une parodie des conventions qui lui sont propres. Le titre joue avec la notion de nature morte  entré dans l’histoire de l’art. Remplacé par sculpture morte, il prend au pied de la lettre la fin du médium que des insectes confirment comme "sujet en décomposition". 

L’art moderne, puis aujourd’hui l’art contemporain, poursuivent cet intérêt pour la vanité, quoique caractérisée par une grande diversité des expressions et l’hétérogénéité des moyens. On ne se limite pas au crâne même si sa présence reste forte mais on montre aussi le vieillissement, la mort en cours. L'intention diffère. Si au XVIIème siècle, la vanité était moralisante, elle prend désormais position critique par rapport à note style de vie et aux conditions économiques et sociales. 

Andy Warhol, 1928 - 1987
 Skull, 1976, sérigraphie polymérisée sur toile, 38 x 48 cm






Warhol est l’un des premiers artistes significatifs de l’ère contemporaine à vulgariser cette représentation de la mort et la violence du temps à l’œuvre sur la condition humaine.

Entre 1950 et 1970, il entreprend ses toiles de Marylin Monroe peintes après sa mort, celles de Lise Taylor réalisées alors que l'actrice est gravement malade, ses chaises électriques ou accidents de la circulation. Chez lui, le processus destructeur du temps est formalisé par la répétition de la figure, conduisant à une forme d’exténuation. La technique de la sérigraphie s’avère très adaptée à la reproduction et aux variantes de son sujet à quoi il enlève toute substance comme une affiche banalisée par sa multiplication mécanique. Echo d’une société sans âme que son œuvre représente et critique tout en produisant de manière ambiguë de nouvelles icônes de la société de consommation montante. 

Dans Skull, le crâne est à la fois esthétisé par le choix des couleurs saturées ou pastelles hors de tout naturalisme ainsi que par la schématisation du contour rendu à un ovale. Mais, visiblement emprunté à une photographie, l’image reste très réaliste, accusée dans son expression par le noir des ombres et l’importance donnée à la dentition inspirant un sourire au bord du sarcasme. L’intention Cézaniennne est ici poussée à bout quant à la banalisation du sujet et sa mise en forme dans l’espace de la représentation. Warhol y ajoutant la dépersonnalisation de l’œuvre.

 
Gerhard Richter, 1932S
chädel, 1983, huile sur toile, 95  x 90 cm
Musée d'art moderne, Saint-Etienne

En une année, Gerhard Richter peint une série de huit variantes de crânes dans leur position et les tons employés. Une seule peinture comporte une bougie, les autres traitent un crâne solitaire dans un espace réduit à l’orthogonalité d’un mur et d’une table à peine suggérés.

Si les vanités anciennes nous parlent du temps et de la mortalité avec un dispositif symbolique quasi systématique, «l'anti-vanité» de Richter réfute les objets liés à la fuite du temps ou au dépérissement des biens terrestres. Il cède toute la place à un crâne solitaire qui semble délocalisé, sans origine, mais souverain et autonome, débarrassé de sa mâchoire inférieure. Il n’est pas placé au centre géométrique de la toile mais décalé vers la gauche, écartelé entre fonds clair et sombre, ménageant ainsi un espace vertigineux derrière et au-dessus de l'objet et faisant apparaître la mort comme épiphanie abstraite, hors de tout temps humain ou spirituel. Le crâne repose sur son propre reflet, étrangement inquiétant. S'agit-il d'une réactivation des «vanités au miroir», telles ces coquettes absorbées par leur reflet et donc une stigmatisation du vice ? Faut-il voir un rappel du caractère trompeur de toute représentation illusionniste ou une pure satisfaction esthétique ? Est-ce le pouvoir d'une figure post-mortem rejetant tout discours moralisant propre aux vanités du XVIIème siècle, tel Narcisse persistant après la mort dans la contemplation de soi ? Par ailleurs, la prodigieuse technique de patine du tableau déconcerte. Elle renvoie plus à une impression de flou photographique qu’à une vraie nécessité picturale. L’effet suscite un suspens qui vise à énoncer cette crise du regard à l'oeuvre dans le questionnement de la peinture contemporaine. Gerhard Richter affirme non sans radicalité : Mes tableaux sont sans objet ; mais comme tout objet, ils sont l’objet d’eux-mêmes. Ils n’ont par conséquent ni contenu, ni signification, ni sens ; ils sont comme les choses, les arbres, les animaux, les hommes ou les jours qui, eux aussi n’ont ni raison d’être, ni fin, ni but. Voilà quel est l’enjeu. (Mais il y a quand même de bons et de mauvais tableaux.)


Michel Journiac, 1935 - 1995
 Jeu d'échec de l'art avec la mort, 1993, crâne, or, damier
Patricia Dorfmann Gallery, Paris

Chez Michel Journiac le corps n'est plus seulement un sujet, il est actant, c'est-à-dire actif et critique. Un matériau qui permet de montrer ce qui est caché et dévoile plus que ne peuvent le faire les peintures. C’est une viande consciente socialisée, dit-il, faite de chair et de sang. La société l'enferme. Les conditions économiques le déterminent. Dans cette pièce, l’échiquier renvoie à la tradition du socle en sculpture et au dispositif traditionnel de la statuaire. C’est aussi un autel portatif où se pratique un rituel : un jeu voué à détruire l’autre. L’art et la mort s’y affrontent. S’ils doivent donc logiquement se partager la place comme les deux ensembles noir et blanc des pièces d’échec, ici un seul objet concentre tout l’enjeu : le crâne dans sa réalité post mortem et dans sa valeur marchande exacerbée par l’or. Si l'art n'a rien à voir ici avec l'esthétique, Journiac fait voir une vérité plus profonde ancrée dans l’histoire et dans la condition des artistes. Le sens de la beauté reste une valeur supérieure donnée par l'énergie poétique. Elle s'impose avec pour but essentiel: la perfectibilité de l'homme.


Annette Messager, 1943
 Gants - tête, 1999, gants, crayons de couleur, 178  x 133 cm




  
Annette Messager joue sur l’ambiguïté du masque (un principe moteur de son travail), qui tout à la fois cache et révèle. Ici, comme partout dans son oeuvre, il est question de cette frontière ténue entre le vrai et le faux, le vécu et le rêvé, de la contagion du simulacre par la réalité. Sensible au merveilleux des contes pour enfants, au clinquant du cirque ou encore, au cinéma fantastique, Gants-tête participe de cette fantasmagorie. L’imagerie reconstituée d’une tête de mort est associée à une double accumulation de crayons et de gants. La matérialité des uns (pointus et colorés) et des autres (mous et sombres), participe de cette cocasserie décorative. De grandes dimensions, le dispositif est à échelle adulte alors qu’il interpelle les enfants par un jeu paradoxalement plus sérieux. Si l’adulte se divertit, l’enfant se développe. L'assemblage renoue avec le genre des vanités grotesque et ironiques du Moyen Âge. De nombreuses représentations s'attachaient à une verve comique comme chez Jérôme Bosch. Autre filiation : l’héritage du surréalisme ou de Dada, dans la lignée de la Sculpture morte de Duchamp.


Damien Hirst, 1965
 For the love of God, 2007, crâne, platine, diamants
White Cube, London


Dès les années 1980, Damien Hirst mène de front un travail de sculpteur et de commissaire d'exposition à la naissance du courant des "Young British Artists". Depuis 1988, ses installations traitent du rapport entre art, vie et mort. (Pendant ses études, il travaille dans une morgue). Pour que l'art soit plus réel que ne l'est une peinture, il se fait remarquer par une série de cadavres d'animaux (cochon, vache, mouton, tigre, requin etc.), parfois coupés en deux, afin qu'apparaissent intérieur et extérieur, immergés dans des aquariums remplis de formol. Ces sculptures sont appelées à disparaître car la putréfaction n’est que ralentie (6).  
En 2003, il intensifie son propos en montrant des monochromes noirs habités de mouches mortes, des reliquaires de martyrs, des vitrines où des têtes de vaches représentent le Christ et les apôtres. Ses installations sont éclaboussées de sang d'animal. Mais s'il reste provoquant au plan esthétique quant à ce réalisme cru et direct, Damien Hirst est en passe de rester dans l’histoire du capitalisme au même titre qu’un trader, après la vente record chez Sotheby’s de sa pièce For the love of God, une réplique en platine du crâne d'un homme décédé au XVIIème siècle, qui atteint la somme de cent millions de dollars. Le journaliste et critique d'art Ben Lewis révèle dans son documentaire L'art s'explose, que l'œuvre, ne trouvant pas acquéreur, est achetée par un groupe d'investisseurs dont Hirst fait lui même partie dans le but de préserver sa côte sur le marché de l'art (7).

Notes
1. Le terme de vanité provient de l'Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem, qui proclame vers 250 dans l’Ancien Testament Vanité des vanités, tout est vanité, parole de retour à une sagesse de l’humilité. Mais la citation proprement dite apparaîtra beaucoup plus tard, dans les retables des XVIème et début du XVIIème siècle, alors lisible en latin sur des phylactères à côté d'un crâne au pied de la Croix. 
2. Masaccio, 1401-1428 est considéré comme le premier peintre ayant introduit dans l'art occidental la vérité optique de la perspective. 
3. Ancienne abbaye cistercienne devenue le haut lieu de la réforme catholique. 
4. Loïc Malle, catalogue qui accompagne l’exposition en 2010 au Musée Maillol. 
5. Dans une lettre adressée à Alfred Stieglitz, 1864-1946, photographe, marchand d’art américain et compagnon de l'artiste Georgia O'Keeffe. 
6. Zoo, A zed and two noughts, film majeur du réalisateur anglais Peter Greenaway, réalisé en 1985, traite de ce thème de la décomposition. 
7. En 2008, Hirst organise une vente aux enchères de ses œuvres les plus récentes chez Sotheby's, sans passer par le circuit des galeries, intermédiaires naturels entre producteurs et consommateurs de l'art, violant ainsi une règle importante du marché. La vente a un grand succès au-delà de toutes les estimations. Des marchands d'arts traditionnels, notamment Larry Gagosian et la galerie White Cube présents à la vente auraient exagérément fait monter les enchères, dans le but de préserver la bulle spéculative autour de l'œuvre de Hirst dont ils possèdent des stocks importants.
 

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