# 03
KANDINSKY
A. LA MUSIQUE DES SPHERES
D’ascendance aristocratique, Kandinsky naît en 1866 à Moscou. Il passe son enfance
à Odessa où il montre
des dispositions pour les arts : peinture, piano et
violoncelle. Il
s'inscrit à l’Université de Moscou en droit et économie. Suite à
l’obtention de son doctorat sur « la légalité des salaires
ouvriers » il est attaché à la faculté de droit et devient
en 1895, directeur artistique d’une imprimerie. Deux
événements décisifs vont faire pencher la balance en faveur d’une
carrière artistique. L’un concerne une expérience synesthésique
(deux ou plusieurs sens associés : lettres et couleurs, sons et
formes, espace et image…), expérience vécue durant une
représentation de Lohengrin de Richard Wagner, l’autre par le choc esthétique éprouvé devant une toile de la série des Meules
de Claude Monet présentée lors d’une exposition des
impressionnistes français (1).
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Claude Monet, 1840 - 1926
Meule de foin 5/19, 1890 / 1891, huile sur toile 66 x 93 cm
Art Institute, Chicago |
Monet
peint une trentaine de fois les meules de foin qui se dressent dans
un champ à proximité de sa maison de Giverny, entre l'été 1890 et
l'hiver 1891. Il entend capter la lumière et en saisir les
variations selon les heures, les saisons ou les conditions
climatiques. Celle-ci révèle un coucher de soleil dans un paysage
en dégel. Elle renvoie à une pratique traditionnelle: peindre le même sujet à
des moments différents (Canaletto / Venise,
Constable / Salisbury…). Mais, même si la lumière vénitienne
pouvait être peinte pour
elle-même,
le
traitement de
la peinture
restait diffus alors que l’impressionnisme de Monet procède par
touches chromatiques en vibrations successives.
En
1896, âgé déjà de trente ans, Kandinsky refuse un poste de
professeur d’université en Estonie et s’installe à Munich où
il suit des cours de peinture et de dessin. Mais très vite, il doute
de toute formation académique et abandonne pour fonder une
association La Phalanx, avec d’autres artistes décidés
à constituer une avant-garde artistique à quoi se rattachera un temps une
école qui verra à peine le jour.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Le cavalier bleu, 1903, huile sur carton
Collection particulière, Zurich |
Au début des années 1900, il organise une douzaine d’expositions
avec des artistes importants (parmi eux : Kubin, Vallotton,
Signac, Toulouse Lautrec, Monet...) Sa propre peinture relève alors
de ces influences impressionnistes. Suit
une période intense de voyages en Europe et en Afrique du nord, de
rapports tumultueux avec sa compagne Gabriel Münter et de grands
tâtonnements artistiques. Kandinsky se documente, prend des photos,
passe des bois gravés à des paysages travaillés en pleine pâte et
à des « scènes russes » avec clochetons, popes et
moujiks sur un mode lyrique.
Son tableau Le cavalier bleu (Der Blaue Reiter), marqué à la fois par la touche et les couleurs impressionnistes, donnera néanmoins son nom au mouvement rénovateur des idées picturales fondé en 1911 par Kandinsky et Franz Marc. Matisse,
Derain et Vlaminck sont liés à cette époque par une amitié et un
intérêt pictural commun hérité de Van Gogh. En 1905, ils
réalisent entre eux, les portraits des trois « fauves » qu'ils
sont. Brossés à larges touches, les couleurs saturées, ils
attirent à eux le scandale mais se font remarquer par de plus jeunes
artistes comme Braque et Dufy. Matisse et Derain mettent alors en
chantier des toiles manifestes qui affirment l'esthétique fauve.
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Henri Matisse, 1869 - 1954
Le bonheur de vivre, 1905 / 1906, huile sur toile 175 x 241 cm
Barnes Foundation, Merion, Philadephie, USA |
Le
bonheur de vivre, composition de grand format traite d’un sujet
déjà exploré dans Luxe, calme et volupté. Dans un paysage
d'Arcadie, nymphes et bergers nus s'étreignent, dansent et jouent de
la flûte. Alors que le style du premier tableau relève du
néo-impressionnisme, le second met en oeuvre avec évidence les jeunes principes du
fauvisme. Les
couleurs sont exaltées, les tons purs. La puissance des jaunes et des
rouges insiste sur la notion de plaisir (cohabitation radicale à gauche des complémentaires rouge /vert pour valoriser la lascivité de la femme debout). Matisse abandonne ici toute idée
d'imitation : les corps sont tantôt rose proche du violet, tantôt
d'un bleu léger. Le paysage est traité de la même façon sans effet de profondeur. Les
silhouettes sont définies par un dessin synthétique simplifié, les
mouvements suggérés par des arabesques. Exposée
au Salon des Indépendants en 1906, la peinture est vivement
critiquée. Elle choque par « l'abus d'abstraction systématique »
qu'elle renferme. Il faut attendre le Salon d'Automne pour obtenir
une reconnaissance.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
La vie mélangée, 1907, tempera sur toile, 130 x 132.5 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich |
La
Vie mélangée est
peinte
à Paris alors que Gauguin, Signac et Cézanne dominent la scène
artistique. Kandinsky qui s'immisce dans le débat sur la modernité
réalise ce tableau en écho à celui de Matisse. Exécuté
en larges touches colorées, à la manière des néo-impressionnistes,
il met en scène une fête populaire de la Vieille Russie. Formes, taches et lignes s'entremêlent dans une vue en plongée qui facilite la répartition des figures. La libre
distribution des personnages, les traits et les points de couleurs
épars se détachent d’une volonté figurative. Saints et
sorcières, nobles et moujiks se côtoient, au pied de la citadelle
du Kremlin. Le thème religieux s’y confond à des situations
quotidiennes inspirant une certaine joie de vivre.
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Piet Mondrian, 1872 - 1944
Le nuage rouge, 1907, huile sur carton, 64 x 75 cm
Gemeentemuseum, La Haye |
Comme
Kandinsky, un autre peintre russe fait son propre voyage vers
l’abstraction à la même époque. A peine plus jeune de quelques
années, ils mourront tous deux en 1944. Mais si Kandinsky traverse
son temps dans une expérimentation constante, Mondrian, lié à la
revue De Stijl, restera dès 1917 fidèle à ses croyances
théosophiques d’une signification universelle de l’angle droit. Le
nuage rouge précède les agencements géométriques connus de Mondrian autour des
couleurs primaires et du noir & blanc et fait suite aux paysages
linéaires de troncs d'arbres et branches
en contre-jour. Le tableau est doublement influencé par le
symbolisme et le fauvisme, notamment celui de Van Dongen. Ce paysage
de ciel et de mer peut tout aussi bien être interprété comme la
fin du monde ou son origine, métaphore d’un art en mutation. Au
centre, le nuage rouge se déploie semblant pouvoir recouvrir la
surface. Sa couleur conjugue idée et émotion.
L’esprit est conduit en boucle, de la matérialité du paysage à
une dimension spirituelle, d’une scène naturelle évoquée à
l’abstraction des formes et des couleurs (2).
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Vue de Murnau, 1908, huile sur carton, 33 x 44.5 cm
Musée de l'Hermitage, Saint Petersbourg |
De
retour à Munich, Kandinsky découvre la petite ville bavaroise de
Murnau. Il parcourt la campagne à vélo, se documente sur les
traditions tout en restant informé de l’actualité
artistique en Europe : la naissance du cubisme, les écrits
d’Apollinaire, les avancées musicales… Son
installation dans cette ville voit certains de ses tableaux marqués
par une phase paysagère se rattacher encore à l’impressionnisme
alors que d’autres, par la composition et les couleurs, renouent
avec les expériences fauvistes. Ce faisant, il se rapproche par
étapes de la dissolution de la figure au profit des sonorités de
couleurs autonomes. Vue
de Murnau, peint seulement un an après la clôture des
patchworks bigarrés de ses tableaux de contes, s’affranchit de son sujet. Certains éléments d’architecture sont
identifiables alors que le paysage se réduit à des taches colorées. La fusion des objets dans la peinture et la structure
picturale par surfaces libres et consistantes évoque Cézanne tandis
que la saturation des couleurs, leur propre logique décorative comme
l’exagération de la vision renvoient aux fauves.
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Paul Sérusier, 1864- 1927
Le Talisman, l'Aven au bois d'amour, 1888, huile sur toile, 27 x 21 cm
Musée d'Orsay, Paris |
Séjournant
durant l'été 1888 à Pont-Aven, Paul Sérusier peint sous l’influence
de Gauguin. De retour à Paris, des débats enflammés s’en suivront
sur le rôle sacré de l'art et de la peinture, donnant naissance au
mouvement nabi (nebiim en hébreu qui veut dire
« intellectuel », souvent traduit par prophète ou
illuminé). Le Talisman, réalisé vingt ans avant la Vue de Murnau de
Kandinsky exprime déjà remarquablement le manifeste d'une peinture pure,
autonome et libérée de la figure. Ce tableau se détache du rendu illusionniste de la
nature chère à l’impressionnisme. La verticalité de ses touches lui donne une ampleur qui tranche avec son format réduit.
En
1909, un nouveau groupe d’artistes est constitué autour de
Kandinsky. Si, dans un premier temps, les objectifs portent sur
l’organisations d’expositions, il rédige bientôt une sorte de
manifeste : Nous partons de l’idée, que l’artiste, à
part les impressions qu’il reçoit du monde extérieur, de la
nature, rassemble en permanences des expériences dans un monde
intérieur ; et la recherche de formes artistiques susceptibles
d’exprimer la pénétration réciproque de toutes ces expériences…
en bref l’aspiration à une synthèse artistique, nous semble une
solution…
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
1910 ou 1913, aquarelle, mine de plomb, encre de chine, 49.6 x 64.8 cm
Centre Pompidou, Paris |
A l'image de la rupture historique qui s'annonce, cette Aquarelle non titrée
de Kandinsky soulève une controverse. Certains historiens le soupçonnent d'avoir antidaté l'œuvre pour s'assurer la paternité
de l'abstraction. Mais, malgré la
date portée au verso et la mention aquarelle
abstraite, d'autres estiment qu’il s’agit d’une esquisse pour une huile
sur toile, Composition
VII,
qui sera achevée à l’automne 1913. Plaident pour cette thèse le
grand format inhabituel pour l'époque et une inscription
tardive relatant l’œuvre dans le registre manuscrit que tient
régulièrement Kandinsky à partir de 1919. Composée
de touches de couleur auxquelles se superposent, comme par
transparence, des lignes noires tracées à la plume, le rôle du
dessin et de la couleur sont dissociés. Les lignes procurent aux
formes un élan rythmique plutôt qu’elles ne délimitent des
contours. Les taches flottent dans un milieu indéterminé. Ce qui s'avérera fréquent dans les
œuvres ultérieures de Kandinsky fait place aux formes structurées qui imageaient les souvenirs personnels du peintre. Bien
que né en Virginie, Cy Twombly passe sa vie principalement à Rome.
Il y enregistre la lumière du ciel italien qu’il projette dans le
blanc éclatant de ses fonds en même temps qu’il dévide
l’écheveau d’une culture antique, assimilant et réinterprétant
sans cesse à sa manière le savoir-faire des grands maîtres
fresquistes de la Renaissance. Son
œuvre reste énigmatique, en partie autant que
celle de Mallarmé son poète préféré. Une tranche de sa
biographie révèle une influence existentielle possible possible, quand en 1954, il sert comme cryptographe dans
l'armée américaine, métier du chiffre, du secret, de la
dissimulation et de la révélation (3).
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Cy Twombly, 1928 - 2011
ferragosto 1, 1961, huile, craie grasse, mine de plomb sur toile, 166 x 200 cm
Collection particulière |
Ferragosto
signifie le jour de l’assomption, le 15 août, fête à la fois
religieuse et profane qui rythme la vie sociale italienne, donnant
l’occasion de sorties en famille. Cette
peinture de grandes dimensions nous entraîne dans un maelström de
taches de peinture et de graphie, entre portée calligraphique et
geste brusque rappelant l'écriture automatique des surréalistes. On éprouve à la fois l’évidence simple de cette instantanéité et l’hermétisme d’un sens parcellaire proche des
hiéroglyphes. Le tout se compose comme une partition musicale de
couleurs parfois chatoyantes et de signes proches du gribouillis. Si cette
déconstruction du savoir dessiner, commencée dans les années
cinquante le rattache à la fois au travail de régression, non redevable d’une culture ou
d’une rationalité, d’un
Paul Klee (entre 1905 et 1914), comme à l’expressionnisme abstrait de Willem
de Kooning ou Franz Kline, on ne peut ignorer à cinquante ans d'écart la filiation naturelle libérée de toute
convention picturale avec les toiles de Kandinsky des années dix.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Impression III, Concert, 1911, huile sur carton, 77.5 x 100 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich |
Les
premières expositions du nouveau groupe formé par Kandinsky
déclenchent de vives réactions de rejet. Seul un jeune peintre
munichois, Franz Marc, manifeste son admiration. Il oppose à
l’incompréhension de la critique l’idée d’une
« spiritualisation » de la matière, particulièrement
dans l’œuvre de Kandinsky avec qui une amitié fervente s’établit. Impression
III fait
partie des premières toiles véritablement abstraites de Kandinsky.
Les éléments figuratifs restent allusifs. A l’instar de son autre
série des Improvisations,
les Impressions
de
Kandinsky marient les sensations visuelles aux expériences
intérieures. Le
tableau est réalisé en deux jours après un concert de Arnold
Schönberg qui présente de nouveaux morceaux aux limites de la
tonalité (quatuor à cordes op.10 de 1907 / 1908). Alors que le
public siffle, il est bouleversé et si impressionné par la
découverte du monde sonore dodécaphonique qu’il écrit à
Schönberg entamant une correspondance active. Une
vaste surface jaune suggère un son qui se disperse en
rayonnant sa chaleur. La tache noire (le piano), contraste durement
tout en se joignant en diagonale au mouvement ascensionnel des autres
formes colorées. Malgré ce recours iconographique, l’orientation
générale donne une impression dynamique indépendante de toute
reconnaissance objective des signes.
En
1911, Kandinsky publie son ouvrage Du spirituel dans l’art
ou il affirme avec lucidité : Nous ne sommes pas assez
avancés en peinture pour être déjà impressionnés profondément
par une composition de formes et de couleurs totalement émancipée. Il
est en quête de nouvelles formes. Il s’intéresse aux symbolistes
et aux théosophes comme Rudolf Steiner (1861 - 1925) (4) et à la théorie des couleurs de
Goethe basée sur l’équilibre des pôles (bleu
opposé à l’orange, rouge au vert, jaune au violet, blanc au
noir). Il cherche ses équivalents picturaux au sein de cette lutte
entre matière et esprit, mystique et physiologie. Alors que simultanément, le cubisme synthétique de Braque et Picasso s'impose de l'autre côté de la frontière.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Imrovisation 19, 1911, huile sur toile, 120 x 141.5 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich |
Improvisation
19 expose un arrière plan en tons bleus à la facture agitée. A
droite se dresse un groupe de figures au contour noir qui remplissent
la presque totalité de la hauteur. Un autre groupe qui semble en
rapport est placé contre le bord gauche. Ses contours contrastent
plus vivement avec le fond jaune, orange et vert. Au-dessus d’autres
figures cernées de blanc puis une forme centrale supérieure au
serti courbe plane comme un nuage. On
peut rapprocher cette dramaturgie d’indications données avec
précision dans l’Almanach du Cavalier Bleu en 1912, alors
qu’il travaille à des compositions scéniques : Les gens
s’avancent comme dans un rêve vers l’avant-scène et s’éloignent
de plus en plus les uns des autres. La musique baisse et on entend à
nouveau le même récitatif. Bientôt les gens s’arrêtent comme en
extase et se retournent. Ils remarquent soudain les petites figures
qui continuent de monter sur la colline en une suite infinie. Le
tableau présente la même ambivalence : attendre et
s’approcher, hésiter et espérer. Tout est passage, changement et
mouvement des couleurs criardes s’éteignant dans un camaïeu de
bleus avec une intention spirituelle.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Composition V, 1911, huile sur toile, 190 x 275 cm
Collection particulière |
Si
les symphonies sont les jalons dans la carrière d’un compositeur,
les compositions marquent le point culminant de la vision
artistique de Kandinsky. Il les considère à cette époque comme
l’expression majeure de ses idées. Malheureusement les trois
premières sont détruites pendant la seconde guerre mondiale. On
n’en garde que des photographies n & b. La
série réunit toutefois des caractères communs : la
monumentalité des formats (près de 6 m2), leur étude sous forme
d’aquarelles, la construction précise des compositions et la
transcendance de la représentation significativement abstraite. Composition
V franchit un nouveau stade vers l’abstraction comparé à
d’autres œuvres de l’époque traitant du même thème de la
résurrection des morts. L’iconographie y reste beaucoup plus
difficile à discerner. Plusieurs anges soufflent dans des trompettes
dans la partie haute de la toile. La ligne noire très marquée qui
traverse de droite à gauche est significative de l’énergie du
souffle. Au-dessus est signifiée l’enceinte chaotique d’une
ville avec ses tours. En dessous la peinture est plus fondue.
L’absence de volumes et de perspective crée un espace luminescent,
inspirant une sensation d’infini dans lequel le regardeur doit
ressentir le soulèvement des morts.
La
crise éclate dans l’association d’artistes novateurs fondée en
1909. Kandinsky se voit refuser d’exposer sa Composition V,
jugée trop abstraite. Il quitte le groupe suivi de Franz Marc. Les
deux artistes conjuguent alors leurs visions. Pour le premier, celle
d’un retour au paradis originel d’un art animé par une
intériorité spirituelle. Pour le second, celle d’un monde où les
animaux remplacent les hommes, vivant dans une permanente saturation
de couleurs. L’un aime les cavaliers, l’autre les chevaux. Tous
les deux apprécient le bleu. Cette fusion engendre naturellement le
Cavalier Bleu (Der Blaue Reiter).
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Franz Marc, 1880 - 1916
Le tigre, 1912, huile sur ctoile, 111x 101 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich |
Le
Tigre, peint fin 1912, alors que Marc utilise encore le langage
formel du cubisme, est l’une de ses œuvres les plus
impressionnantes inscrites dans le courant du Blaue Reiter.
Son format presque carré permet de ramasser le tigre sur
lui-même. Il donne l’impression d’être sculpté dans la pierre
en se fondant aux formes prismatiques environnantes. Le
chromatisme puissant de la toile se libère de toute illusion
naturaliste, jouant avec les contrastes complémentaires. Malgré le
degré d’abstraction de la représentation, la tension de la bête
reste remarquable d’expressivité. C’est l’âme de l’animal
et non l’anatomie qui porte l’intention à la recherche d’une
forme primordiale qui ne serait pas une projection de la vision du
peintre. Cette
empathie avec des sujets animaliers conduit Franz Marc à définir
le concept « d’animalisation » par opposition à celui
de « naturalisation » (5).
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Robert Delaunay, 1885 - 1941
Fenêtres simultanées sur la ville, 1911- 1912, huile sur toile, 46 x 40 cm
Kunsthalle, Hambourg |
Ni
groupe ni école mais plutôt manifeste pour une diversité
d’expressions intérieures, le Blaue
Reiter
rassemble quatorze artistes pour sa première exposition. Le douanier
Rousseau, August Macke
et
Robert Delaunay, en font partie. Robert
Delaunay (1885 – 1941) est l’un des jeunes artistes français qui
impressionne le plus le groupe, et notamment Franz Marc et August
Macke. Ils le recommandent pour faire sa première exposition
personnelle à Berlin. Apollinaire forge alors le terme d’art
orphique
à propos de Delaunay (référence à son poème Orphée
de 1908,
qui traite de poésie pure), et en raison de la luminosité et de
l’abstraction lyrique de sa série des fenêtres. Fenêtres
simultanées sur la ville est composée de fragments colorés
rappelant des maisons. La tour Eiffel jaillit au centre. L’impression
dominante est un jeu de relations chromatiques fait de mobilités et
de rythmes. C’est
Paul Klee qui tirera le plus de ces interactions simultanées des
contrastes de couleur et de la lumière, ce jusqu’à ses Carrés
et Polyphonies de l’époque du Bauhaus.
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August Macke, 1887 - 1914
Jardin zoologique, 1912, huile sur toile, 58.5 x 98 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich |
Avec
cette peinture, Macke trouve son thème personnel du paradis sur
terre qu’il exploite plusieurs fois. Sa tonalité principale se
concentre sur le perroquet dont le plumage resplendit de couleurs
primaires. Les personnages rassemblés en blocs sont répartis de
manière rythmique. Les formes a facettes sont intégrées dans un
réseau de lignes droites et d’arcs rappelant la structure du
vitrail…il
fallait une force surhumaine pour placer les couleurs dans un
système, comme les notes. Les couleurs connaissent le contrepoint,
la clé de sol, la clé de fa, le dièse et le bémol comme la
musique. Une intuition infiniment fine peut les mettre en ordre, sans
connaître tout cela… (lettre du 14.07.1907)
1913
voit la première exposition personnelle de Kandinsky à la galerie
Der Sturm à Berlin. Par ailleurs sa percée sur la scène artistique
new-yorkaise est couronnée en 1914 par une exposition dans le cadre
de l’Armory Show, où ses œuvres voisinent avec celles de Cézanne,
Gauguin, Matisse, Picabia et Picasso. Composition
VII, préparée par plus de trente études (huiles, dessins,
aquarelles…), surpasse tous ceux qui le précèdent pas sa densité
chromatique et sa complexité formelle. Une multitude chaotique de
formes colorées semble s’élever d’une zone plus calme vers la
partie supérieure dans un dispositif diagonal. Les bords sont
saturés, dépassant même vers un hors champ. Cette fois, les
allusions figuratives ont totalement disparu.
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Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Composition VII, 1913, huile sur toile, 200 x 300 cm
Galerie d'état Tretiakov, Moscou |
La
longue phase de préparation documentée en photos par sa compagne
Gabriele Münter montre clairement la manière dont Kandinsky à
procédé : Partant de la forme ovoïde cernée de noir au
centre, recouverte de petites formes dynamiques aspirées en
profondeur dans un mouvement diagonal. La
peinture est une collision fracassante de mondes différents destinés
à créer dans et par leur combat le monde nouveau qu’on nomme
l’œuvre. Techniquement parlant chaque œuvre naît exactement
comme naquit le cosmos – par des catastrophes qui, à partir du
rugissement chaotique des instruments, finissent par faire une
symphonie qu’on nomme musique des sphères… Regards sur le
passé,1913.
Notes
1.Kandinsky déclare à propos: Je ne
connaissais que l’art réaliste et, soudain, pour la première
fois, je voyais un tableau. Ce fut le catalogue qui m’apprit qu’il
s’agissait d’une meule (…) le tableau non seulement vous
empoignait, mais imprimait à la conscience une marque indélébile…
2.Deux étendues, l'une bleu azur, l'autre verte, séparées
par une ligne où se nouent un autre bleu et du noir, qu'une trace de
blanc irise mais vers le haut, centre qui va, matière soudain
lumière, la masse rouge orangé du grand nuage. Yves Bonnefoy, Le Nuage rouge, Paris, Mercure de France, 1992
3.Cy Twombly
aurait pu rester dans l'ombre culturelle, artiste pour artistes ou exégètes difficiles si un fait divers ne l'avait projeté en pleine lumière médiatique en 2007. Une jeune
performeuse cambodgienne, Sam Rindy, visitant la Collection Lambert
en Avignon, dépose alors un baiser chargé de rouge à lèvres indélébile
sur une de ses toiles blanches de trois mètres par deux, élément d'un
triptyque estimé à 2 millions d'euros, lui-même partie d'un
ensemble de onze éléments Les trois dialogues de Platon,
datant de 1977.
4. Maître de
l’anthroposophie qui prône un chemin de connaissance visant à restaurer le
lien entre l’homme et les mondes spirituels.
5.Je tente d’aiguiser ma
sensibilité pour le rythme organique de toutes choses, recherche une
identification panthéiste au frémissement et à l’écoulement du
sang dans la nature, dans les arbres, dans les animaux, dans l’air…
rendre cela en tableau avec de nouveaux mouvements et avec des
couleurs qui tournent en dérision notre vieille peinture de
chevalet. Franz Marc, 1910