# 02
CORPS EN MOUVEMENT
B. EMANCIPATION (VENUS A L'OLYMPIA)
Élève
de Bellini (1430 - 1516), condisciple et maître du Titien dont
l'oeuvre prolonge la sienne, Giorgione est l'auteur d'une oeuvre aussi rare
qu'énigmatique qui laisse après lui un trouble historique. Il ne signait pas ses tableaux. Pour le fait, très peu de
peintures (autour de six), sont reconnues comme étant de sa main.
Célébré pour la qualité romantique de son
travail, ses saints paraissent curieusement introvertis alors que les modulations sensibles
de ses couleurs unifient la peinture sous une lueur diffuse. Il
procède par minuscules touches de couleur, technique dérivée des
illuminations de manuscrits. Vasari
le classera au rang des «créateurs de l'art moderne» en compagnie de
Léonard de Vinci, auquel on peut le comparer, non seulement par
l'usage précurseur
qu'il fait du glacis pour conférer à ses toiles leur qualité
«atmosphérique», mais aussi par son univers empreint d'une rêverie
philosophique.
Giorgione, 1477 - 1510 Vénus endormie,1507, huile sur toile, 108.5 x 175 cm Gemaldegalerie, Dresde |
Avec sa Vénus endormie, l’apport majeur est ici l’intégration de la figure au paysage dans un espace harmonique où l’arrière plan fait ressentir sa réalité sensorielle. On peut aussi remarquer, à l'encontre de la tradition, que Giorgione a peint une chevelure brune contrairement à des maîtres comme Boticelli (1445-1510), Tintoret (1518 -1594) ou Rubens (1577-1640).
Le
sujet est au premier plan sans que rien ne le relie spatialement au
lointain. Mais les nuances ocres jaune du ciel viennent imprégner le
corps. Le visage inspire une rêverie autant intériorisée par le modèle qu'éprouvée par le regard du spectateur. Si
le tableau pose les bases d’un érotisme pictural : modèle
lascif, nudité virginale, main peut-être suggestive mais
inconsciente, toute la peinture est tendue par une certaine
« temporisation » qu’on retrouvera chez Watteau (1660 –
1720), avec son goût des rendus vaporeux, la sensualité de sa
palette et ses figures énigmatiques. Paysage et figure ne sont pas
« hors du temps » mais au contraire le sentiment de sa
présence est irrésistible, un temps qui n’est pas celui du
spectateur mais habite et détermine la représentation même
de la peinture.
Comme
Giorgione, élève
de Giovanni Bellini, Le Titien est un peintre significatif de l'Ecole vénitienne mais contrairement à lui, il est auteur d'une œuvre picturale
considérable. Considéré comme un des plus grands
portraitistes de son époque, il perpétue un des traits qui distinguent l'art
vénitien du reste de l'Italie: la richesse chromatique d’une
peinture libérée
des contraintes de la ligne et de la forme où elle était
emprisonnée depuis le Moyen Âge finissant.
Il en résulte des portraits d'un naturel incomparable accompagné
d'une grande finesse d'analyse psychologique. A
l'instar de Van Eyck (1390 – 1441), et dans la succession de Giorgione, il développe, pour le porter à un sommet inégalé, l'art du glacis, fine pellicule de
vernis légèrement pigmenté qui emprisonne la lumière des couches
sous-jacentes.
Le Titien, 1490 - 1576 Vénus d'Urbin,1538, huile sur toile, 119 x 165 cm Galleria degli Uffizi, Florence |
La
Vénus
d’Urbin, commande du Duc d'Urbino
qui a déjà acheté deux ans plus tôt, le portrait du même modèle,
est, de toute évidence, dans la succession de la Vénus
endormie
de Giorgione. Le
sujet mythologique n'est qu'un prétexte. Le repos de Vénus permet
en effet de mettre en évidence la beauté et l'attrait du corps de
la femme qui affirme sans détour sensualité et séduction avec un naturalisme
tout en nuance. Le geste de la main posée sur le sexe semble ici
plus appuyé que celui du modèle de Giorgione. Cette licence reste tout à fait exceptionnelle car elle met sur le
devant de la scène, ce qui n’est admis que dans l'intimité (1).
Le tableau présente deux espaces perspectifs distincts qui n’appartiennent pas au même plan de représentation : la salle d'un palais vénitien de la Renaissance où évoluent deux servantes et le lit où repose la femme. Le point de fuite des lignes de pavement est placé à l'aplomb de la main gauche de Vénus et à hauteur de son œil gauche. L'arrière salle travaillée avec une attention très rare montre que l’objectif n'est pas de construire une unité spatiale mais mentale. Ce sont des limites arbitraires qui articulent les deux lieux du tableau lesquels n'appartiennent pas au même espace continu. On ne peut pas ''passer'' de l'un à l'autre et Vénus ne se trouve donc pas dans la salle du palais. Visuellement nous sommes ainsi placés au plus près du corps. Titien se sert de la perspective du fond pour construire une sorte de trompe-l'œil qui le fait "venir" vers nous. Ce qu’on appelle ligne d’horizon, celle des yeux du peintre (ou du photographe) passe exactement par le regard de Vénus, nous y associant plus encore. Les servantes de l'arrière plan sont minuscules, pour ainsi dire hors d'échelle. Celle qui est debout ne mesure pas la moitié du corps de Vénus.
Le tableau présente deux espaces perspectifs distincts qui n’appartiennent pas au même plan de représentation : la salle d'un palais vénitien de la Renaissance où évoluent deux servantes et le lit où repose la femme. Le point de fuite des lignes de pavement est placé à l'aplomb de la main gauche de Vénus et à hauteur de son œil gauche. L'arrière salle travaillée avec une attention très rare montre que l’objectif n'est pas de construire une unité spatiale mais mentale. Ce sont des limites arbitraires qui articulent les deux lieux du tableau lesquels n'appartiennent pas au même espace continu. On ne peut pas ''passer'' de l'un à l'autre et Vénus ne se trouve donc pas dans la salle du palais. Visuellement nous sommes ainsi placés au plus près du corps. Titien se sert de la perspective du fond pour construire une sorte de trompe-l'œil qui le fait "venir" vers nous. Ce qu’on appelle ligne d’horizon, celle des yeux du peintre (ou du photographe) passe exactement par le regard de Vénus, nous y associant plus encore. Les servantes de l'arrière plan sont minuscules, pour ainsi dire hors d'échelle. Celle qui est debout ne mesure pas la moitié du corps de Vénus.
Manet présente ses premières toiles en 1860. Très rapidement ses tableaux suivants font scandale dont Le déjeuner sur l’herbe et Olympia. Il est alors rejeté des expositions officielles et joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante ». Après la guerre de 1870 à laquelle il participe, il soutient les impressionnistes parmi lesquels il a des amis proches, Monet, Renoir ou Berthe Morisot qui devient sa belle-sœur et dont il fera le célèbre portrait Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872). Au contact de ces artistes, il délaisse en partie la peinture d'atelier pour la peinture en plein air que ce soit à Argenteuil ou à Gennevilliers où il possède une maison.
Si Manet est étroitement lié aux acteurs principaux du courant
impressionniste,
il est à tort considéré aujourd’hui comme l'un de ses pères. Il
n'en est qu'un puissant inspirateur autant par ses morceaux de
peinture que par ses thèmes de prédilection. Sa manière de peindre
soucieuse du réel restant en effet foncièrement différente.
Edouard Manet, 1832 - 1883 Olympia,1863, huile sur toile, 130.5x 190 cm Musée d'Orsay, Paris |
Avec
Olympia,
Manet réinvente le thème traditionnel du nu féminin par le jeu
d'une peinture franche et sans compromis. Le sujet autant que le
langage pictural expliquent le scandale que l'oeuvre provoqua au
Salon de 1865. Les critiques vilipendent cette
odalisque au ventre jaune
dont la modernité est pourtant défendue par quelques contemporains
avec à leur tête Zola. Même
si les références formelles et iconographiques à la Vénus
d'Urbino
du Titien mais aussi à la Maja
desnuda
de Goya sont criantes, même s’il reprend le thème de
l'odalisque à l'esclave noire traité par Ingres (qui
lui-même a copié La
Vénus d’Urbino), Manet traduit avant tout picturalement la froideur et le
prosaïsme d'un sujet bien contemporain. Sa Vénus est devenue une
prostituée du Second Empire qui provoque les fondement de la
tradition académique.
Le XIXème siècle conçoit le nu s'il est placé dans un espace temps qui renvoie ailleurs que dans la réalité de l'époque. Dans cette
toile, le modèle (Victorine Meurent), est fortement individualisé
par ses caractéristiques physiques. Le modelé du corps est traité avec vigueur. Le rendu des chairs s'oppose à
la traditionnelle idéalisation des corps. Si dans l’œuvre du Titien, la figure reste chaste avec ses deux servantes
qui rangent des affaires dans un coffre de mariage, Olympia défie le spectateur. Le chien de la Vénus, symbole de
fidélité, est ici remplacé avec humour
par un chat noir
à la queue relevée. D'autres éléments de la composition
perturbent comme le bouquet de fleurs, nature morte s'invitant de manière incongrue dans un tableau de nu, ou encore le bracelet
(lequel appartient à la mère du peintre ). Quand la Vénus
du Titien nous regarde, ici toute la surface s'impose en
annulant la perspective.
Le personnage se
présente frontalement
sans sensualité ni tendresse. Pudeur, abandon sont écartés au
profit d'une représentation non expressive. Le caractère hautain d'Olympia est renforcé par le désintérêt porté à la femme de
chambre au second plan laquelle se fond avec la couleur du mur.
À l'âge de 23 ans, Félix Vallotton entre à l'académie Julian dont les ateliers sont fréquentés par de nombreux artistes post-impressionnistes ainsi que par les Nabis En moins de dix ans, le jeune Suisse parvient à se faire un nom auprès de l'avant-garde parisienne. Sa renommée d’illustrateur s’établit grâce à ses gravures sur bois imprimées en noir et blanc. Sa série des Intimités, dix xylographies réalisées en 1897, publiées dans La Revue Blanche, lui vaut une reconnaissance internationale que renforce encore son appartenance au groupe des Nabis. À partir de 1899, il se consacre essentiellement à la peinture de scènes d'intérieur puis à des thèmes classiques, paysages et nus, qu'il traduit d'une manière personnelle. Touché par l'horreur de la première guerre mondiale il trouve dans le conflit une source d'inspiration qui le pousse vers l'art abstrait.
À l'âge de 23 ans, Félix Vallotton entre à l'académie Julian dont les ateliers sont fréquentés par de nombreux artistes post-impressionnistes ainsi que par les Nabis En moins de dix ans, le jeune Suisse parvient à se faire un nom auprès de l'avant-garde parisienne. Sa renommée d’illustrateur s’établit grâce à ses gravures sur bois imprimées en noir et blanc. Sa série des Intimités, dix xylographies réalisées en 1897, publiées dans La Revue Blanche, lui vaut une reconnaissance internationale que renforce encore son appartenance au groupe des Nabis. À partir de 1899, il se consacre essentiellement à la peinture de scènes d'intérieur puis à des thèmes classiques, paysages et nus, qu'il traduit d'une manière personnelle. Touché par l'horreur de la première guerre mondiale il trouve dans le conflit une source d'inspiration qui le pousse vers l'art abstrait.
Felix Vallotton, 1865 - 1925 Femme couchée sur un drap blanc, coussin jaune,1904, huile sur toile, 98 x 146 cm Muzeum zu Allerheiligen, Schaffhausen |
Cette
femme
couchée sur un drap blanc
est caractéristique de l’art du trait de Vallotton. L’expression
est intemporelle et singulière, marquée par une inspiration
japonisante (les traits du visage, la coiffure, les motifs du
coussin), qui renvoie au goût pour le symbolisme des Nabis.
L'utilisation de grands aplats de couleurs et l’effet de cerne emprunte encore à ce courant bien
que les tons ne soient pas purs et sans
mélange. La perspective est absente. Cette
fois, le regard de la femme n’est pas diverti par d’autres détails que le
modèle lui-même. La pose reprend celle des Vénus, main posée
sur le sexe mais le visage regarde ailleurs, absorbé.
Une impression de repos s’en dégage voire de bercement accusé par
le dessin an arc de cercle de la limite inférieure du drap.
Larry Rivers
commence à peindre en 1945, après avoir été musicien de jazz et
étudié la composition. Résidant à New York et à Paris entre 1948
et 1951, il fait la connaissance des principaux peintres
expressionnistes abstraits (De Kooning, Pollock, Frankenthaler) ainsi
que des poètes Frank O'Hara et John Ashbery. Tout en conservant les
jeux de palette de l'Expressionnisme abstrait, il est l'un des
premiers artistes à réintroduire avec assurance la figuration dans
la peinture américaine de l'après-guerre. En
1951, il prend pour point de départ l'Enterrement
à Ornans de
Courbet dont il donne une version originale : The
Burial,
peinture brossée vigoureusement d’une assemblée de personnages
aux visages sans traits placés devant une tombe. En
1957, Rivers exécute une série de sculptures en métal soudé qui
peuvent être considérées comme le point de départ de ses
recherches tridimensionnelles. En raison de son
intérêt précoce pour une imagerie préexistante à partir de
tableaux de maîtres et de photographies de magazines, Rivers est
souvent considéré comme l'un des précurseurs singuliers du pop art
mais il est lié également au mouvement du Nouveau Réalisme et, en
particulier, à Jean Tinguely.
Larry Rivers, 1923 - 2002 I like Olympia in black face,1970, construction peinte, 182 x 194 x100 cm Centre Pompidou, Paris |
Morimura expose son travail au Japon depuis 1980 mais il faut attendre 1991 pour que l’artiste présente une première exposition dans une galerie américaine à Boston qui lance sa carrière internationale. En 1996, il fait une série d’autoportraits où il pastiche les plus grande stars, comme Audrey Hepburn, Greta Garbo, Marylin Monroe, ou encore Brigitte Bardot. En 2001, avec son exposition Self-Portraits: An Inner Dialogue with Frida Kahlo, il reprend l’œuvre de l’artiste mexicaine, hommage à sa lutte pour l’émancipation de la femme dans la société sud américaine. Son œuvre se joue de l’appropriation d’images universellement connues dérivées de l’histoire de l’art (Velasquez, Vermeer, Van Gogh...) et de la culture populaire pour recréer des autoportraits sous forme de performance, vidéos et projets photographiques. Utilisant décors, accessoires, costumes et maquillage associés à des manipulations par ordinateur, il se métamorphose lui-même en symbole immédiatement identifiable. Cette transformation répond à la capacité de changement de la technologie informatique qui régit notre époque et à l’assimilation ambiguë par le Japon des icônes de la culture occidentale. Cette habileté à mêler satyre et hommage rend l’œuvre particulièrement efficace.
Yasumasa Morimura, 1951 Self -Portrait as Art History,1988 / 1990, Cibachrome, 266 x 366 cm Centre Pompidou, Paris |
Notes
1. Au XVIème siècle, on attribue une puissance magique aux images. Il est recommandé d'accrocher, dans les chambres à coucher des époux, des représentations de nus des deux genres aux qualités esthétiques. Si la femme les regarde au moment de la fécondation, son enfant sera plus beau. Certains critiques d'art prétendent même qu’il s’agit là d’une recommandation de la part des médecins de l’époque suggérant que les femmes ne peuvent être fertilisées qu'au moment de leur jouissance.
2. Chat porte bonheur cher à la culture japonaise, littéralement « chat qui invite », traditionnellement placé à l’entrée des magasins pour attirer la bonne fortune, avec une patte levée (gauche pour attirer les clients, droite pour l'argent.)
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