mardi

# 03
KANDINSKY

A. LA MUSIQUE DES SPHERES

D’ascendance aristocratique, Kandinsky naît en 1866 à Moscou. Il passe son enfance à Odessa où il montre des dispositions pour les arts : peinture, piano et violoncelle. Il s'inscrit à l’Université de Moscou en droit et économie. Suite à l’obtention de son doctorat sur « la légalité des salaires ouvriers » il est attaché à la faculté de droit et devient en 1895, directeur artistique d’une imprimerie. Deux événements décisifs vont faire pencher la balance en faveur d’une carrière artistique. L’un concerne une expérience synesthésique (deux ou plusieurs sens associés : lettres et couleurs, sons et formes, espace et image…), expérience vécue durant une représentation de Lohengrin de Richard Wagner, l’autre par le choc esthétique éprouvé devant une toile de la série des Meules de Claude Monet présentée lors d’une exposition des impressionnistes français (1). 

Claude Monet, 1840 - 1926
Meule de foin 5/19, 1890 / 1891, huile sur toile 66 x 93 cm
Art Institute, Chicago
Monet peint une trentaine de fois les meules de foin qui se dressent dans un champ à proximité de sa maison de Giverny, entre l'été 1890 et l'hiver 1891. Il entend capter la lumière et en saisir les variations selon les heures, les saisons ou les conditions climatiques. Celle-ci révèle un coucher de soleil dans un paysage en dégel. Elle renvoie à une pratique traditionnelle: peindre le même sujet à des moments différents (Canaletto / Venise, Constable / Salisbury…). Mais, même si la lumière vénitienne pouvait être peinte pour elle-même, le traitement de la peinture restait diffus alors que l’impressionnisme de Monet procède par touches chromatiques en vibrations successives.





En 1896, âgé déjà de trente ans, Kandinsky refuse un poste de professeur d’université en Estonie et s’installe à Munich où il suit des cours de peinture et de dessin. Mais très vite, il doute de toute formation académique et abandonne pour fonder une association La Phalanx, avec d’autres artistes décidés à constituer une avant-garde artistique à quoi se rattachera un temps une école qui verra à peine le jour.

Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Le cavalier bleu, 1903, huile sur carton
Collection particulière, Zurich
Au début des années 1900, il organise une douzaine d’expositions avec des artistes importants (parmi eux : Kubin, Vallotton, Signac, Toulouse Lautrec, Monet...) Sa propre peinture relève alors de ces influences impressionnistes. Suit une période intense de voyages en Europe et en Afrique du nord, de rapports tumultueux avec sa compagne Gabriel Münter et de grands tâtonnements artistiques. Kandinsky se documente, prend des photos, passe des bois gravés à des paysages travaillés en pleine pâte et à des « scènes russes » avec clochetons, popes et moujiks sur un mode lyrique.
Son tableau Le cavalier bleu (Der Blaue Reiter), marqué à la fois par la touche et les couleurs impressionnistes, donnera néanmoins son nom au mouvement rénovateur des idées picturales fondé en 1911 par Kandinsky et Franz Marc. Matisse, Derain et Vlaminck sont liés à cette époque par une amitié et un intérêt pictural commun hérité de Van Gogh. En 1905, ils réalisent entre eux, les portraits des trois « fauves » qu'ils sont. Brossés à larges touches, les couleurs saturées, ils attirent à eux le scandale mais se font remarquer par de plus jeunes artistes comme Braque et Dufy. Matisse et Derain mettent alors en chantier des toiles manifestes qui affirment l'esthétique fauve.

Henri Matisse, 1869 - 1954
Le bonheur de vivre, 1905 / 1906, huile sur toile 175 x 241 cm
Barnes Foundation, Merion, Philadephie, USA
Le bonheur de vivre, composition de grand format traite d’un sujet déjà exploré dans Luxe, calme et volupté. Dans un paysage d'Arcadie, nymphes et bergers nus s'étreignent, dansent et jouent de la flûte. Alors que le style du premier tableau relève du néo-impressionnisme, le second met en oeuvre avec évidence les jeunes principes du fauvisme. Les couleurs sont exaltées, les tons purs. La puissance des jaunes et des rouges insiste sur la notion de plaisir (cohabitation radicale à gauche des complémentaires rouge /vert pour valoriser la lascivité de la femme debout). Matisse abandonne ici toute idée d'imitation : les corps sont tantôt rose proche du violet, tantôt d'un bleu léger. Le paysage est traité de la même façon sans effet de profondeur. Les silhouettes sont définies par un dessin synthétique simplifié, les mouvements suggérés par des arabesques. Exposée au Salon des Indépendants en 1906, la peinture est vivement critiquée. Elle choque par « l'abus d'abstraction systématique » qu'elle renferme. Il faut attendre le Salon d'Automne pour obtenir une reconnaissance.  
Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
La vie mélangée, 1907, tempera sur toile, 130 x 132.5 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich

La Vie mélangée est peinte à Paris alors que Gauguin, Signac et Cézanne dominent la scène artistique. Kandinsky qui s'immisce dans le débat sur la modernité réalise ce tableau en écho à celui de Matisse. Exécuté en larges touches colorées, à la manière des néo-impressionnistes, il met en scène une fête populaire de la Vieille Russie. Formes, taches et lignes s'entremêlent dans une vue en plongée qui facilite la répartition des figures. La libre distribution des personnages, les traits et les points de couleurs épars se détachent d’une volonté figurative. Saints et sorcières, nobles et moujiks se côtoient, au pied de la citadelle du Kremlin. Le thème religieux s’y confond à des situations quotidiennes inspirant une certaine joie de vivre.

Piet Mondrian, 1872 - 1944
Le nuage rouge, 1907, huile sur carton, 64 x 75 cm
Gemeentemuseum, La Haye

Comme Kandinsky, un autre peintre russe fait son propre voyage vers l’abstraction à la même époque. A peine plus jeune de quelques années, ils mourront tous deux en 1944. Mais si Kandinsky traverse son temps dans une expérimentation constante, Mondrian, lié à la revue De Stijl, restera dès 1917 fidèle à ses croyances théosophiques d’une signification universelle de l’angle droit. Le nuage rouge précède les agencements géométriques connus de Mondrian autour des couleurs primaires et du noir & blanc et fait suite aux paysages linéaires de troncs d'arbres et branches en contre-jour. Le tableau est doublement influencé par le symbolisme et le fauvisme, notamment celui de Van Dongen. Ce paysage de ciel et de mer peut tout aussi bien être interprété comme la fin du monde ou son origine, métaphore d’un art en mutation. Au centre, le nuage rouge se déploie semblant pouvoir recouvrir la surface. Sa couleur conjugue idée et émotion. L’esprit est conduit en boucle, de la matérialité du paysage à une dimension spirituelle, d’une scène naturelle évoquée à l’abstraction des formes et des couleurs (2). 






Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Vue de Murnau, 1908, huile sur carton, 33 x 44.5 cm
Musée de l'Hermitage, Saint Petersbourg
De retour à Munich, Kandinsky découvre la petite ville bavaroise de Murnau. Il parcourt la campagne à vélo, se documente sur les traditions tout en restant informé de l’actualité artistique en Europe : la naissance du cubisme, les écrits d’Apollinaire, les avancées musicales… Son installation dans cette ville voit certains de ses tableaux marqués par une phase paysagère se rattacher encore à l’impressionnisme alors que d’autres, par la composition et les couleurs, renouent avec les expériences fauvistes. Ce faisant, il se rapproche par étapes de la dissolution de la figure au profit des sonorités de couleurs autonomes. Vue de Murnau, peint seulement un an après la clôture des patchworks bigarrés de ses tableaux de contes, s’affranchit  de son sujet. Certains éléments d’architecture sont identifiables alors que le  paysage se réduit à des taches colorées. La fusion des objets dans la peinture et la structure picturale par surfaces libres et consistantes évoque Cézanne tandis que la saturation des couleurs, leur propre logique décorative comme l’exagération de la vision renvoient aux fauves.

Paul Sérusier, 1864- 1927
Le Talisman, l'Aven au bois d'amour, 1888, huile sur toile, 27 x 21 cm
Musée d'Orsay, Paris
Séjournant durant l'été 1888 à Pont-Aven, Paul Sérusier peint sous l’influence de Gauguin. De retour à Paris, des débats enflammés s’en suivront sur le rôle sacré de l'art et de la peinture, donnant naissance au mouvement nabi (nebiim en hébreu  qui veut dire « intellectuel », souvent traduit par prophète ou illuminé). Le Talisman, réalisé vingt ans avant la Vue de Murnau de Kandinsky exprime déjà remarquablement  le manifeste d'une peinture pure, autonome et libérée de la figure. Ce tableau se détache du rendu illusionniste de la nature chère à l’impressionnisme. La verticalité de ses touches lui donne une ampleur qui tranche avec son format réduit. 















En 1909, un nouveau groupe d’artistes est constitué autour de Kandinsky. Si, dans un premier temps, les objectifs portent sur l’organisations d’expositions, il rédige bientôt une sorte de manifeste : Nous partons de l’idée, que l’artiste, à part les impressions qu’il reçoit du monde extérieur, de la nature, rassemble en permanences des expériences dans un monde intérieur ; et la recherche de formes artistiques susceptibles d’exprimer la pénétration réciproque de toutes ces expériences… en bref l’aspiration à une synthèse artistique, nous semble une solution… 
 

Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
1910 ou 1913, aquarelle, mine de plomb, encre de chine, 49.6 x 64.8 cm
Centre Pompidou, Paris

A l'image de la rupture historique qui s'annonce, cette Aquarelle non titrée de Kandinsky soulève une controverse. Certains historiens le soupçonnent d'avoir antidaté l'œuvre pour s'assurer la paternité de l'abstraction. Mais, malgré la date portée au verso et la mention aquarelle abstraite, d'autres estiment qu’il s’agit d’une esquisse pour une huile sur toile, Composition VII, qui sera achevée à l’automne 1913. Plaident pour cette thèse le grand format inhabituel pour l'époque et une inscription tardive relatant l’œuvre dans le registre manuscrit que tient régulièrement Kandinsky à partir de 1919. Composée de touches de couleur auxquelles se superposent, comme par transparence, des lignes noires tracées à la plume, le rôle du dessin et de la couleur  sont dissociés. Les lignes procurent aux formes un élan rythmique plutôt qu’elles ne délimitent des contours. Les taches flottent dans un milieu indéterminé. Ce qui s'avérera fréquent dans les œuvres ultérieures de Kandinsky fait place aux formes structurées qui imageaient les souvenirs personnels du peintre. Bien que né en Virginie, Cy Twombly passe sa vie principalement à Rome. Il y enregistre la lumière du ciel italien qu’il projette dans le blanc éclatant de ses fonds en même temps qu’il dévide l’écheveau d’une culture antique, assimilant et réinterprétant sans cesse à sa manière le savoir-faire des grands maîtres fresquistes de la Renaissance. Son œuvre reste énigmatique, en partie autant que celle de Mallarmé son poète préféré. Une tranche de sa biographie révèle une influence existentielle possible possible, quand en 1954, il sert comme cryptographe dans l'armée américaine, métier du chiffre, du secret, de la dissimulation et de la révélation (3).

Cy Twombly, 1928 - 2011
ferragosto 1, 1961, huile, craie grasse, mine de plomb sur toile, 166  x 200 cm
Collection particulière
Ferragosto signifie le jour de l’assomption, le 15 août, fête à la fois religieuse et profane qui rythme la vie sociale italienne, donnant l’occasion de sorties en famille. Cette peinture de grandes dimensions nous entraîne dans un maelström de taches de peinture et de graphie, entre portée calligraphique et geste brusque rappelant l'écriture automatique des surréalistes. On éprouve à la fois l’évidence simple de cette instantanéité et l’hermétisme d’un sens parcellaire proche des hiéroglyphes. Le tout se compose comme une partition musicale de couleurs parfois chatoyantes et de signes proches du gribouillis. Si cette déconstruction du savoir dessiner, commencée dans les années cinquante le rattache à la fois au travail de régression, non redevable d’une culture ou d’une rationalité, d’un Paul Klee (entre 1905 et 1914),  comme  à l’expressionnisme abstrait de Willem de Kooning ou  Franz Kline, on ne peut ignorer à cinquante ans d'écart la  filiation naturelle libérée de toute convention picturale avec les toiles de Kandinsky des années dix.

Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Impression III, Concert, 1911, huile sur carton, 77.5 x 100 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich
Les premières expositions du nouveau groupe formé par Kandinsky déclenchent de vives réactions de rejet. Seul un jeune peintre munichois, Franz Marc, manifeste son admiration. Il oppose à l’incompréhension de la critique l’idée d’une « spiritualisation » de la matière, particulièrement dans l’œuvre de Kandinsky avec qui une amitié fervente s’établit. Impression III fait partie des premières toiles véritablement abstraites de Kandinsky. Les éléments figuratifs restent allusifs. A l’instar de son autre série des Improvisations, les Impressions de Kandinsky marient les sensations visuelles aux expériences intérieures. Le tableau est réalisé en deux jours après un concert de Arnold Schönberg qui présente de nouveaux morceaux aux limites de la tonalité (quatuor à cordes op.10 de 1907 / 1908). Alors que le public siffle, il est bouleversé et si impressionné par la découverte du monde sonore dodécaphonique qu’il écrit à Schönberg entamant une correspondance active. Une vaste surface jaune suggère un son qui se disperse en rayonnant sa chaleur. La tache noire (le piano), contraste durement tout en se joignant en diagonale au mouvement ascensionnel des autres formes colorées. Malgré ce recours iconographique, l’orientation générale donne une impression dynamique indépendante de toute reconnaissance objective des signes.

En 1911, Kandinsky publie son ouvrage Du spirituel dans l’art ou il affirme avec lucidité : Nous ne sommes pas assez avancés en peinture pour être déjà impressionnés profondément par une composition de formes et de couleurs totalement émancipée. Il est en quête de nouvelles formes. Il s’intéresse aux symbolistes et aux théosophes comme Rudolf Steiner (1861 - 1925) (4) et à la théorie des couleurs de Goethe basée sur l’équilibre des pôles (bleu opposé à l’orange, rouge au vert, jaune au violet, blanc au noir). Il cherche ses équivalents picturaux au sein de cette lutte entre matière et esprit, mystique et physiologie. Alors que simultanément, le cubisme synthétique de Braque et Picasso s'impose de l'autre côté de la frontière.

Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Imrovisation 19, 1911, huile sur toile, 120 x 141.5 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich

Improvisation 19 expose un arrière plan en tons bleus à la facture agitée. A droite se dresse un groupe de figures au contour noir qui remplissent la presque totalité de la hauteur. Un autre groupe qui semble en rapport est placé contre le bord gauche. Ses contours contrastent plus vivement avec le fond jaune, orange et vert. Au-dessus d’autres figures cernées de blanc puis une forme centrale supérieure au serti courbe plane comme un nuage. On peut rapprocher cette dramaturgie d’indications données avec précision dans l’Almanach du Cavalier Bleu en 1912, alors qu’il travaille à des compositions scéniques : Les gens s’avancent comme dans un rêve vers l’avant-scène et s’éloignent de plus en plus les uns des autres. La musique baisse et on entend à nouveau le même récitatif. Bientôt les gens s’arrêtent comme en extase et se retournent. Ils remarquent soudain les petites figures qui continuent de monter sur la colline en une suite infinie. Le tableau présente la même ambivalence : attendre et s’approcher, hésiter et espérer. Tout est passage, changement et mouvement des couleurs criardes s’éteignant dans un camaïeu de bleus avec une intention spirituelle.


Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Composition V, 1911, huile sur toile, 190 x 275 cm
Collection particulière

Si les symphonies sont les jalons dans la carrière d’un compositeur, les compositions marquent le point culminant de la vision artistique de Kandinsky. Il les considère à cette époque comme l’expression majeure de ses idées. Malheureusement les trois premières sont détruites pendant la seconde guerre mondiale. On n’en garde que des photographies n & b. La série réunit toutefois des caractères communs : la monumentalité des formats (près de 6 m2), leur étude sous forme d’aquarelles, la construction précise des compositions et la transcendance de la représentation significativement abstraite. Composition V franchit un nouveau stade vers l’abstraction comparé à d’autres œuvres de l’époque traitant du même thème de la résurrection des morts. L’iconographie y reste beaucoup plus difficile à discerner. Plusieurs anges soufflent dans des trompettes dans la partie haute de la toile. La ligne noire très marquée qui traverse de droite à gauche est significative de l’énergie du souffle. Au-dessus est signifiée l’enceinte chaotique d’une ville avec ses tours. En dessous la peinture est plus fondue. L’absence de volumes et de perspective crée un espace luminescent, inspirant une sensation d’infini dans lequel le regardeur doit ressentir le soulèvement des morts.


La crise éclate dans l’association d’artistes novateurs fondée en 1909. Kandinsky se voit refuser d’exposer sa Composition V, jugée trop abstraite. Il quitte le groupe suivi de Franz Marc. Les deux artistes conjuguent alors leurs visions. Pour le premier, celle d’un retour au paradis originel d’un art animé par une intériorité spirituelle. Pour le second, celle d’un monde où les animaux remplacent les hommes, vivant dans une permanente saturation de couleurs. L’un aime les cavaliers, l’autre les chevaux. Tous les deux apprécient le bleu. Cette fusion engendre naturellement le Cavalier Bleu (Der Blaue Reiter). 

Franz Marc, 1880 - 1916
Le tigre, 1912, huile sur ctoile, 111x 101 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich

Le Tigre, peint fin 1912, alors que Marc utilise encore le langage formel du cubisme, est l’une de ses œuvres les plus impressionnantes inscrites dans le courant du Blaue Reiter. Son format presque carré permet de ramasser le tigre sur lui-même. Il donne l’impression d’être sculpté dans la pierre en se fondant aux formes prismatiques environnantes. Le chromatisme puissant de la toile se libère de toute illusion naturaliste, jouant avec les contrastes complémentaires. Malgré le degré d’abstraction de la représentation, la tension de la bête reste remarquable d’expressivité. C’est l’âme de l’animal et non l’anatomie qui porte l’intention à la recherche d’une forme primordiale qui ne serait pas une projection de la vision du peintre. Cette empathie avec des sujets animaliers conduit Franz Marc à définir le concept « d’animalisation » par opposition à celui de « naturalisation » (5). 

Robert Delaunay, 1885 - 1941
Fenêtres simultanées sur la ville, 1911- 1912, huile sur toile, 46 x 40 cm
Kunsthalle, Hambourg






Ni groupe ni école mais plutôt manifeste pour une diversité d’expressions intérieures, le Blaue Reiter rassemble quatorze artistes pour sa première exposition. Le douanier Rousseau, August Macke et Robert Delaunay, en font partie. Robert Delaunay (1885 – 1941) est l’un des jeunes artistes français qui impressionne le plus le groupe, et notamment Franz Marc et August Macke. Ils  le recommandent pour faire sa première exposition personnelle à Berlin. Apollinaire forge alors le terme d’art orphique à propos de Delaunay (référence à son poème Orphée de 1908, qui traite de poésie pure), et en raison de la luminosité et de l’abstraction lyrique de sa série des fenêtres. Fenêtres simultanées sur la ville est composée de fragments colorés rappelant des maisons. La tour Eiffel jaillit au centre. L’impression dominante est un jeu de relations chromatiques fait de mobilités et de rythmes. C’est Paul Klee qui tirera le plus de ces interactions simultanées des contrastes de couleur et de la lumière, ce jusqu’à ses Carrés et Polyphonies de l’époque du Bauhaus.


August Macke, 1887 - 1914
Jardin zoologique, 1912, huile sur toile, 58.5 x 98 cm
Stadtische Galerie im Lenbach haus, Munich


Avec cette peinture, Macke trouve son thème personnel du paradis sur terre qu’il exploite plusieurs fois. Sa tonalité principale se concentre sur le perroquet dont le plumage resplendit de couleurs primaires. Les personnages rassemblés en blocs sont répartis de manière rythmique. Les formes a facettes sont intégrées dans un réseau de lignes droites et d’arcs rappelant la structure du vitrail…il fallait une force surhumaine pour placer les couleurs dans un système, comme les notes. Les couleurs connaissent le contrepoint, la clé de sol, la clé de fa, le dièse et le bémol comme la musique. Une intuition infiniment fine peut les mettre en ordre, sans connaître tout cela… (lettre du 14.07.1907)

1913 voit la première exposition personnelle de Kandinsky à la galerie Der Sturm à Berlin. Par ailleurs sa percée sur la scène artistique new-yorkaise est couronnée en 1914 par une exposition dans le cadre de l’Armory Show, où ses œuvres voisinent avec celles de Cézanne, Gauguin, Matisse, Picabia et Picasso. Composition VII, préparée par plus de trente études (huiles, dessins, aquarelles…), surpasse tous ceux qui le précèdent pas sa densité chromatique et sa complexité formelle. Une multitude chaotique de formes colorées semble s’élever d’une zone plus calme vers la partie supérieure dans un dispositif diagonal. Les bords sont saturés, dépassant même vers un hors champ. Cette fois, les allusions figuratives ont totalement disparu.

Vassily Kandinsky, 1866 - 1944
Composition VII, 1913, huile sur toile, 200 x 300 cm
Galerie d'état Tretiakov, Moscou

La longue phase de préparation documentée en photos par sa compagne Gabriele Münter montre clairement la manière dont Kandinsky à procédé : Partant de la forme ovoïde cernée de noir au centre, recouverte de petites formes dynamiques aspirées en profondeur dans un mouvement diagonal. La peinture est une collision fracassante de mondes différents destinés à créer dans et par leur combat le monde nouveau qu’on nomme l’œuvre. Techniquement parlant chaque œuvre naît exactement comme naquit le cosmos – par des catastrophes qui, à partir du rugissement chaotique des instruments, finissent par faire une symphonie qu’on nomme musique des sphères… Regards sur le passé,1913.
 



Notes 

1.Kandinsky déclare à propos:  Je ne connaissais que l’art réaliste et, soudain, pour la première fois, je voyais un tableau. Ce fut le catalogue qui m’apprit qu’il s’agissait d’une meule (…) le tableau non seulement vous empoignait, mais imprimait à la conscience une marque indélébile…
2.Deux étendues, l'une bleu azur, l'autre verte, séparées par une ligne où se nouent un autre bleu et du noir, qu'une trace de blanc irise mais vers le haut, centre qui va, matière soudain lumière, la masse rouge orangé du grand nuage. Yves Bonnefoy, Le Nuage rouge, Paris, Mercure de France, 1992
3.Cy Twombly aurait pu rester dans l'ombre culturelle, artiste pour artistes ou exégètes difficiles si un fait divers ne l'avait projeté en pleine lumière médiatique en  2007. Une jeune performeuse cambodgienne, Sam Rindy, visitant la Collection Lambert en Avignon, dépose alors un baiser chargé de rouge à lèvres indélébile sur une de ses toiles blanches de trois mètres par deux, élément d'un triptyque estimé à 2 millions d'euros, lui-même partie d'un ensemble de onze éléments Les trois dialogues de Platon, datant de 1977. 
4. Maître de l’anthroposophie qui prône un chemin de connaissance visant à restaurer le lien entre l’homme et les mondes spirituels.  
5.Je tente d’aiguiser ma sensibilité pour le rythme organique de toutes choses, recherche une identification panthéiste au frémissement et à l’écoulement du sang dans la nature, dans les arbres, dans les animaux, dans l’air… rendre cela en tableau avec de nouveaux mouvements et avec des couleurs qui tournent en dérision notre vieille peinture de chevalet. Franz Marc, 1910








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